Emmanuel de Merode, prince des ténèbres

© Capture d'écran site Virunga national parc

Conservateur du parc des Virunga au Congo, le Belge Emmanuel de Merode se rétablit lentement de l’embuscade dont il a été victime. Portrait d’un prince au moral d’acier, lié par son serment au drapeau congolais.

N’est pas gardien de parc qui veut. Surtout quand il mesure 7 900 kilomètres carrés et qu’il abrite une biodiversité exceptionnelle tout en étant un des plus menacés du monde par les guerres et l’instabilité chronique. Nommé en 2008 par l’ICCN (Institut congolais pour la conservation de la nature) conservateur du parc national des Virunga, dans l’est du Congo, l’anthropologue belge Emmanuel de Merode (43 ans) savait que le défi serait titanesque. Il ignorait juste que le mardi 15 avril 2014, vers 16 heures, des malfrats attendaient le passage de son tout-terrain sur la route qui conduit à son quartier général de Rumangabo, pour lui tirer dessus. Trois balles l’ont atteint à l’estomac et aux jambes. Transporté à moto, ensuite en voiture jusqu’à Goma, il a été évacué à la veille de Pâques à Nairobi (Kenya) où il se remet lentement de ses blessures.

Reviendra-t-il à son poste ? “Il est courageux, avec un moral d’acier. Il n’est pas du genre à battre en retraite”, nous assure le député fédéral MR François-Xavier de Donnea, administrateur de la fondation qui gère ce parc fondé sous le règne du roi Albert 1er. Comme pour confirmer ces propos, de Merode a déjà annoncé, depuis Nairobi, qu’il “espère revenir avec une vigueur renouvelée”. Seules des contingences familiales pourraient le faire réfléchir. Fils du prince Charles-Guillaume de Merode et de la princesse Hedwige de Ligne, soit deux des familles au top du carnet mondain belge, Emmanuel a épousé Louise Leakey, une paléontologue anglo-kenyane, avec qui il a eu deux filles, Seiya (10 ans) et Alexia (8 ans). Sa famille ne l’avait pas accompagné dans le chaudron congolais. “C’est difficile d’assurer une protection à 100%, reconnaît François-Xavier de Donnéa. Pour le directeur, nous devrons peut-être rétablir les escortes ou utiliser des voitures banalisées.”

Seul étranger à disposer de pouvoirs judiciaires au Congo, le prince de Merode, qui a rang de colonel, venait de déposer auprès du procureur de la République à Goma un dossier à charge de l’entreprise britannique Soco, accusée de mener sans vergogne des explorations pétrolières dans le parc, avec l’aval de Kinshasa mais en contravention avec tous les engagements internationaux du Congo en matière d’environnement. “Une coïncidence troublante”, reconnaît de Donnea, qui ne veut toutefois pas exclure d’autres pistes : des rebelles rwandais des FDLR qui se financent grâce au commerce illégal du charbon de bois, des braconniers mai mai, des gens expulsés… “Beaucoup de groupes peuvent lui en vouloir”. Le parc des Virunga n’abrite pas que des espèces en danger, comme les gorilles de montagne et les okapis, mais aussi une faune humaine qui n’hésite pas à tuer.

Créer un esprit de corps Son premier souci a été de créer un esprit de corps, quasi militaire (il a fait appel à d’anciens paracommandos belges), à son équipe de 400 rangers, qui a subi de terribles pertes depuis 1996. Si le parc se rouvre timidement aux visiteurs, c’est grâce à ces Congolais qui sont restés envers et contre tout. “Ce ne sont pas toujours les grands penseurs ou les grands leaders qui font la différence, c’est parfois les plus humbles, les sans-voix, les gens de l’ombre”, déclarait de Merode lors d’une conférence à Genève en 2011. Il y racontait comment il avait réussi à convaincre le chef rebelle Laurent Nkunda de le laisser reprendre ses activités dans le parc.

Belge dans l’âme, même s’il n’a découvert son pays qu’à l’âge de 12 ans, Emmanuel de Merode passe souvent par Bruxelles, notamment pour faire rapport à la Commission européenne qui finance ses projets. En 2012, ce gentleman au savoureux accent britannique était venu évoquer les agissements de l’entreprise Soco dans les couloirs du Parlement fédéral. “Très discret, il ne voulait pas qu’on ébruite sa venue”, se souvient le député CDH Georges Dallemagne, qui est né et a grandi au Congo. Son prochain passage est annoncé le 6 mai, pour les journées de la Coopération au développement, mais sa venue au beau milieu de sa convalescence reste plus qu’improbable.

Par François Janne d’Othée

L’intégralité du portrait dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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